Norman Massey - Vêtements Parkley

1937 - 1941
372 Ste-Catherine O., Montréal

Fuyant la surveillance policière, la « terreur fasciste et le désespoir », Norman Massey (pseudonyme de Noach Puterman), un révolutionnaire polonais dans la vingtaine, est arrivé à Montréal à la fin octobre 1929, c’est-à-dire juste à temps pour être accueilli par le « mardi noir », le krash boursier qui a marqué les débuts de la Grande Dépression. Après avoir exercé brièvement le métier de rembourreur pour meubles, Massey décida de suivre ses collègues de la Ligue des jeunes communistes et ceux du centre culturel juif qu’il fréquentait pour entrer dans les métiers de l’aiguille. Parmi ses employeurs dans l’industrie du vêtement, l’on compte Vêtements Parkley, un fabricant de vêtements à l’intérieur de l’édifice du Belgo, situé rue Sainte-Catherine, à l’ouest de la rue Bleury.

Un syndicaliste durant toute sa carrière, Massey était un directeur de la Section 277, un local de « fabricants de pantalons et de vestes » de l’Amalgamated Clothing Workers. Massey a continué de pratiquer ce métier durant les années 1970 en tant que fabricant de poches de vêtements pour homes, un changement de carrière qui était dû, selon lui, au fait que les vestes sont devenues démodées au tournant de la Seconde Guerre mondiale. S’ajoutant à son travail de syndicaliste, Massey était un correspondant pour le journal yiddish socialiste Vochenblatt et un leader de l’United Jewish People’s Order of Canada, une organisation socialiste fraternelle et séculière. En 1935, Massey a épousé Sema Stutman, une couturière et une membre de l’Industrial Union of Needle Trade Workers qui était issue d’une famille de syndicalistes actifs.

Voici un extrait de ses mémoires publié dans l’ouvrage de Seemah C. Berson, I Have a Story to Tell You (WLU Press, 2010):

«Anti-semitism among manufacturers» - Si vous suivez l’histoire de la lutte des classes – telle qu’elle a pris forme en Allemagne –, vous verrez que les patrons allemands embauchaient des gangsters fascistes auxquels ils donnaient le pouvoir d’instaurer le régime hitlérien afin de détruire leurs propres travailleurs. C’est ça, la lutte des classes. Je connais des exemples dans l’industrie du vêtement – pas dans notre industrie – où les filles juives portaient une croix au cou afin d’obtenir un emploi! Et elles parlaient aussi le français – plusieurs d’entre elles avaient appris cette langue – afin de parler aux patrons pour obtenir un emploi. Et lorsque ceux-ci ont découvert qu’elles étaient juives, elles n’avaient plus qu’une faible chance de décrocher un emploi; ils les appelaient les « fauteuses de troubles », car elles pouvaient mettre sur pied un syndicat! Parmi les fabricants, qu’ils soient Juifs ou Italiens ou autre, les intérêts des classes passent toujours avant les intérêts nationaux. En réalité, je connais l’histoire d’une usine située boulevard Saint-Laurent, à proximité de Mont-Royal – j’ai oublié le nom de l’endroit, c’est un endroit vaste – et, à l’époque de la syndicalisation des couturières, le patron a tenu un discours antisémite – c’était un patron juif – aux filles francophones, en leur disant qu’il ne voulait pas embaucher de Juifs, car ce sont des fauteurs de troubles, ce sont des communistes. Oui, c’est arrivé. C’est arrivé chez Canadian Waist et dans une autre grande compagnie. J’ai oublié le nom. L’une d’elles est toujours en activité. Mais Canadian Waist n’existe plus, de nos jours.

«Meeting his wife» - J’ai rencontré mon épouse – en passant, elle est décédée il y a six mois – à plusieurs endroits. Au syndicat industriel, elle travaillait dans un atelier de vêtements. Elle avait participé à la célèbre grève du vêtement de 1935 qu’avait organisée le syndicat, où Joe Gershman était le leader syndical… Je l’ai rencontrée dans une réunion à laquelle assistaient de nombreuses personnes. Je participais alors aux réunions de divers syndicats, car j’étais intéressé à en savoir davantage à propos des conditions de travail et de ce qui se passait dans les syndicats. Sans vouloir me vanter, je peux dire que j’étais de la dynamite politique dans les métiers de l’Aiguille! Oui, c’est là que j’ai rencontré mon épouse, Sima Stutman. Elle était ma cadette de cinq ans. Je n’ai pas à vous expliquer pourquoi les garçons rencontrent les filles. Je l’ai aussi rencontrée au centre culturel. La famille Stutman était progressiste. Le frère aîné de Sima, Eddie Stark, s’est d’abord engagé dans le mouvement progressiste. Il s’est ensuite rendu aux États-Unis, où il habite toujours et où il est encore engagé dans le mouvement progressiste. La famille entière travaillait: le père, les sœurs… Ils étaient tous membres d’un syndicat. Trois d’entre eux était membres de l’Amalgamated Clothing Workers Union, le syndicat auquel j’appartenais. Sima, mon épouse aujourd’hui décédée, était membre de l’Industrial Union jusqu’à notre mariage; ensuite, elle a perdu son emploi et elle n’a plus cherché à travailler. Je dirais que nous avons vécu heureux; sans trop de confort, mais nous étions heureux. Nous travaillions ensemble dans la Young Communist League [Jeune ligue communiste]. C’est ainsi que nous avons fait notre chemin. (96-97)

La majorité des immigrants juifs qui sont venus étaient des travailleurs de l’industrie de l’aiguille à la maison, dans l’Ancien monde. Qu’ils aient été des techniciens et des mécaniciens qualifiés ou non, c’étaient majoritairement des travailleurs de cette industrie. Lorsqu’ils sont venus en Amérique, plusieurs d’entre eux sont devenus des patrons. Ils en sont arrivés là par eux-mêmes, tandis que leurs proches parents exerçaient l’un des métiers de l’aiguille ou encore, ils avaient des proches qui œuvraient dans les petits commerces telles les épiceries – tout comme c’est le cas des Grecs qui arrivent de nos jours. La plupart de leurs proches ont obtenu des emplois dans cette industrie, ou les Haïtiens se sont aussi tournés vers l’industrie de l’aiguille. (97-98)

Par Sarah Woolf et Seemah C. Berson. Traduit par Chantal Ringuet.

Links

Liens

"Arts from the Inside - Preserving the Creative Ecosystem" by Bettina Forget - ELAN
"Moses Mendelssohn: Father of the Haskalah" By Norman Massey
A Balcony Under Threat in Balconville - Third Solitude Series
I Have a Story to Tell You - Seemah Berson
Réseau canadien du patrimoine juif - United Jewish People's Order
United Jewish People's Order
VIEW-16190 | Angle des rues Bleury et Sainte-Catherine, Montréal, QC, 1916

Sources

Berson, Seemah C. (ed.) I Have a Story to Tell You. Waterloo: Wilfrid Laurier University Press, 2010.

*Les images avec l'aimable autorisation de Marilyn Vasilkioti, Esther Frank, Musée McCord et Musée interactif du Montréal juif.

Media

Media