La «question scolaire juive» - Protestant School Board

1920 - 1930
620 Belmont, Montréal

Sans doute l’enjeu le plus complexe de toute l’histoire de la communauté juive de Montréal, la question scolaire a été l’occasion de négociations durant plusieurs années. Cette question a donné lieu à des poursuites judiciaires et elle a nourri un débat intense entre les protestants, les catholiques et les Juifs. L’affaire des écoles séparées a aussi créé des divisions intenses au sein de la communauté juive, selon des lignes de partage sociales et économiques. Parmi les Juifs montréalais, l’absence de consensus et l’incapacité de négocier un compromis avec la Commission scolaire protestante, a entraîné des répercussions à long terme.

Selon la loi provinciale de 1903 concernant l’éducation, les Juifs ont reçu certains privilèges, mais aucun droit. S’ils ont pu envoyer leurs enfants dans les écoles protestantes, ils n’ont toutefois pas eu accès au conseil d’administration de la commission scolaire en raison de son caractère chrétien. De ce fait, les parents juifs se sont opposés à payer des taxes sans pouvoir être représentés et ils ont exigé que des professeurs juifs soient engagés dans les institutions. Ils ont aussi demandé que des commissaires juifs puissent être élus. Dans son refus, la Commission scolaire a souligné que les propriétaires juifs ne payaient pas suffisamment de taxes pour couvrir les frais relatifs à l’éducation de leurs enfants, même s’ils étaient parfois inscrits incorrectement comme protestants ou catholiques. En 1922, les administrateurs protestants ont demandé qu’un comité neutre soit constitué. Plus tard, ils ont menacé d’expulser les Juifs de leur système d’éducation.

Pour une partie de la communauté juive, les discussions à propos de la question scolaire rendaient compte de l’importance de créer un système scolaire séparé. Cet enjeu créait toutefois de tensions profondes au sein d’une communauté déjà divisée par des conflits ouvriers et une «guerre de la viande cachère». Les uptowners (dont Maxwell Goldstein), représentés par le Jewish Educational Committee, considéraient que les écoles séparées représentaient une menace à l’intégration et ils appuyaient la tenue de négociations avec le système protestant. À l’autre extrémité du spectre se trouvaient des individus qui percevaient les écoles séparées comme une occasion de renforcer l’identité juive, dont H. M. Caiserman, Michael Garber et Louis Fitch. Représentés par le Va’ad Ha’ir (Jewish Community Council), les downtowners bénéficiaient de l’appui du Canadian Jewish Chronicle et du Keneder Adler.

En 1924, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau a cherché à abolir les tensions en formant une Commission royale d’enquête composée de protestants, de catholiques et de Juifs, soit neuf personnes au total. L’efficacité de la Commission a toutefois été remise en cause par les downtowners, qui divergeaient d’opinion avec les trois commissaires juifs (dont Michael Hirsch et Samuel Cohen), par Joseph Schubert, lui-même un downtowner qui représentait les Juifs laïques du bas de la ville, et par les uptowners, qui s’opposaient à l’existence d’écoles séparées. En 1925, Taschereau a demandé à la cour d’appel du Québec de se pencher sur la loi de 1903. Par la suite, celle-ci fut déclarée ultra vires. La cause s’est finalement rendue jusqu’au Conseil privé de Londres. En 1928, celui-ci a statué que dans le cadre de la constitution de 1867, les Juifs ne pouvaient jouir d’aucun droit dans les écoles publiques du Québec. Pour la province, la seule solution consistait alors à créer une commission scolaire juive séparée.

En 1930, la loi David (nommée d’après son parrain, le député Athanase David) a été votée pour permettre la création d’une commission scolaire juive autonome, de même que l’établissement d’écoles juives financées par la province. L’Église catholique, alliée à une certaine presse antisémite, s’opposa au projet, qu’elle jugeait subversif. Taschereau, quand à lui, se montra moins enthousiasmé par le projet. Entretemps, les postes au sein de la commission scolaire juive étaient pourvus en partie par des uptowners. Au final, ceux-ci tentèrent de s’entendre avec les protestants. Sans consulter la communauté, les uptowners réussirent à obtenir une tolérance légale (au lieu d’un privilège) pour permettre aux étudiants juifs de s’inscrire dans les écoles protestantes, mais rien de plus. Les pratiques discriminatoires dans l’embauche se poursuivirent, le manque de tolérance envers les fêtes religieuses se maintint et les étudiants juifs durent continuer à assister aux cours de religion chrétienne.

Bien que la situation s’améliorait tranquillement, les Juifs durent attendre jusqu’aux années soixante pour que la situation s’améliore de façon significative. Ce fut le cas, entre autres, lorsque le gouvernement finança des écoles juives à plein temps; cette situation permit de transformer le système scolaire privé juif de Montréal en un des meilleurs systèmes scolaires en Amérique du Nord.

Par Marian Pinsky, traduit par Chantal Ringuet.

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Jewish Public Library Archives – “Montreal’s Little Strikers”

Sources

Audet, Louis-Philippe. "The Jewish Schools Question, 1871-1931." Transactions of the Royal Society of Canada 8 (1970): 109-22.

King, Joe. "The Issue Is Education: Fighting for Rights in a Christian Province." From the Ghetto to the Main: the Story of the Jews of Montreal. Montréal: Montreal Jewish Publication Society, 2000. 135-41.

Rome, David. Inventory of Documents on the Jewish School Question, 1903-1922. Montreal: National Archives, Canadian Jewish Congress, 1975.

Rome, David. On the Jewish School Question in Montreal, 1903-1931. Montreal: National Archives, Canadian Jewish Congress, 1975.

Rome, David. The Drama of Our Early Education. Montreal: National Archives, Canadian Jewish Congress, 1991.

Rome, David. "The Political Consequences of the Jewish School Question, Montreal, 1925-1933." Canadian Jewish Historical Society 1.1 (1977): 3-15.

Rosenberg, Louis. Jewish Children in the Protestant Schools of Greater Montreal in the Period from 1878-1962. Montreal: Canadian Jewish Congress, 1962.

Rosenberg, Michael. Ethnicity, Community, and the State: the Organizational Structures, Practices and Strategies of the Montreal Jewish Community's Day School System and Its Relations with the Quebec State. Ottawa: PhD Dissertation, Carlton University, 1995.

Tulchinsky, Gerald. "The 'Jewish Problem' in Montreal Schools in the 1920s." Branching Out: the Transformation of the Canadian Jewish Community. Toronto: Stoddart, 1998. 63-86.

*Les images proviennent du Musée et des archives de la Congrégation Shaar Hashomayim, des Archives nationales du Congrès juif canadien, comité des charités et des Archives de la Bibliothèque publique juive.

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