Achat chez nous

1920 - 1940
St-Laurent et des Pins

Au cours des années 1920, des mouvements nationalistes informels ont fait leur apparition au Québec, tels les campagnes d’Achat chez nous. Issu de la situation économique défavorable et des frustrations nationalistes des Canadiens français, l’Achat chez nous est devenu une campagne lancée afin de boycotter les commerces juifs. Si le mouvement n’a pas connu un grand succès, en revanche, il gagna une grande popularité en raison de certains facteurs sociopolitiques: la souffrance économique de cette période, un climat d’antisémitisme accru et un type particulier d’ethno-nationalisme auquel adhéraient plusieurs dirigeants politiques et religieux.

Ce ne fut pas une coïncidence si un tel programme s’est concrétisé durant la Grande Dépression: le chômage répandu parmi les travailleurs et la classe moyenne canadienne-française a entraîné un ressentiment général à l’endroit des propriétaires d’usines, majoritairement anglophones. Ce sentiment a amené les partisans de l’Achat chez nous nous à encourager l’achat chez leurs pairs canadiens-français. Cependant, ce boycottage à l’endroit des autres propriétaires ne visait pas l’élite anglophone, mais plutôt les petits commerçants juifs. Comme l’antisémitisme et la xénophobie étaient répandus durant l’entre-deux-guerres, les dirigeants de l’époque (dont le Premier Ministre Maurice Duplessis et l’Abbé Lionel Groulx) ont identifié des bouc-émissaires pour expliquer la cause du chômage. Dans ce cas, la dépression économique était prétendument causée par les pratiques commerciales corrompues des « étrangers », c’est-à-dire les Juifs. Fait intéressant, les Juifs ont été condamnés simultanément pour avoir introduit le communisme au Québec et propagé la forme de propriété capitaliste la plus négative. Ce mouvement se constitua notamment lors d’une agitation en faveur d’un boycottage doctrinaire à l’endroit des magasins juifs d’Ottawa mené par un partisan de l’Achat chez nous particulièrement véhément, le célèbre fasciste et antisémite Adrien Arcand.

Dans la mesure où le mouvement s’appuyait sur des organisations formelles, ces groupes étaient parfois attachés à des paroisses, telles des sections de Jeune-Canada ou la Société Saint-Jean Baptiste. Mais ce mouvement fut surtout adopté par la presse, en particulier par certains journaux nationalistes. Ainsi, les « mérites » du mouvement étaient exposés dans les pages de journaux tels Le Devoir, La Nation, L’action française (et son successeur, L’action nationale). Au final, malgré l’appui répandu de la presse et des dirigeants politiques et religieux, l’Achat chez nous n’a pas atteint son objectif initial, qui consistait à éliminer le commerce juif au Québec. De manière non négligeable, ce résultat fut atteint grâce à de nombreux Canadiens français dont l’adhésion à cette politique fut brève, voire inexistante.

Par Sarah Woolf, traduit par Chantal Ringuet

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Antisémitisme - Encyclopédie canadienne

Sources

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*L’image provient des Archives nationales du Congrès juif canadien, Comité des charités.

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